La Table de Cana Gennevilliers, dirigée par Jean-Marie Clément et membre du réseau La Table de Cana, est une entreprise d’insertion dans les métiers de bouche : elle compte 28 salariés équivalents temps plein dont 20 en contrats d’insertion pour un CA de 1.050 k€ en 2019. Elle produit et organise tout type d’évènement traiteur tel que le Gala des Grands Singes pour le compte du Muséum d’Histoire Naturel de Paris, dîner de gala pour 200 personnalités en produits locaux et de saison. L’entreprise s’est aussi diversifiée en créant une ligne de chocolat bio, équitable, solidaire, artisanal, local….
1) Pouvez-vous partager avec nous votre expérience de cette période inédite et difficile ? Quels en sont les acquis et quelles bonnes pratiques avez-vous développées ?
JMC : les équipes de LTC Gennevilliers ont en effet travaillé sans discontinuer depuis le mois de mars dernier avec l’opération de la Fondation de France « Tous unis contre le virus » et la campagne « Un don, Deux solidarités » lancée le 11 mai à l’initiative de l’Association Nationale. Nous avons ainsi réalisé plus de 35.000 paniers repas solidaires jusqu’à juillet 2020.
Depuis le dé-confinement, nous avons repris notre activité classique de traiteur dans un contexte déprimé et flou, en ayant pour objectif de nous adapter aux nouveaux besoins de nos clients en nous efforçant de les précéder. Nous nous sommes appuyés sur ce que nous a appris cette période inédite au service des plus fragiles : le confinement a été douloureux pour nos salariés et le travail de production en présentiel une vraie thérapie.
Nous avons compris qu’il devenait possible si l’entreprise prenait les moyens de les protéger : des moyens ont été mis en place très tôt en production, puis déclinés à la présentation de nos produits – celle-ci a été complètement refondue dans une formule entièrement sécurisée – ainsi qu’au service en salle et à la disposition des mobiliers pour permettre le respect des distances de sécurité et des gestes barrières. Ceci implique de réviser les jauges.
Aujourd’hui, nos clients attendent de nous un véritable service de conseil sur la manière d’opérer à nouveau des temps collectifs en toute sécurité. Ces temps sont devenus fondamentaux pour réussir l’après-confinement et la remobilisation de leurs équipes. Nous avons atteint une phase durable où le risque viral est maintenant permanent et où, plutôt que de s’en cacher, il faut apprendre à vivre avec et à s’en protéger. Les traiteurs sont potentiellement des agents de reprise parce qu’ils peuvent viabiliser ces temps, d’une part en neutralisant le risque et de l’autre, en favorisant la ré-expérience de la vie collective.
2) Quels sont les principaux défis auxquels votre entreprise d’insertion et le réseau La Table de Cana plus globalement vont devoir relever ces prochaines années ?
JMC : Pour s’adapter aux cinq ou dix prochaines années, un réseau de traiteurs qui fonde son approche sur l’utilisation intensive de main d’œuvre pour mener une action sociale indispensable à la société concentre les défis car nous sommes à une époque qui tend de toutes parts à la réduire, voire à la supprimer. Il va s’agir de réussir à mieux vendre, mieux acheter, mieux communiquer… en protégeant une approche qualitative du métier, gage de plus grande qualité mais aussi de plus de sens.
Au rang des défis les plus flagrants ayant trait à l’innovation : réussir la digitalisation du réseau. Aider un client à réussir l’organisation d’une réception par exemple requiert du conseil et un accompagnement professionnel qui ne peuvent pas se remplacer, à moins de tomber dans une standardisation dangereuse de l’offre. Mais un “dégrossissement” virtuel de sa demande pourrait permettre de gagner du temps de qualité avec lui tout en répondant à ses besoins d’accessibilité à des horaires différents de ceux classiques de bureau… Si l’on pose l’équation de l’amélioration de nos procédures pour gagner un temps de meilleure qualité avec nos interlocuteurs, un chantier important nous attend dans l’accompagnement social aussi, ou dans l’interface avec nos partenaires publics… Un autre enjeu crucial sera la mutualisation de nos achats pour permettre de professionnaliser la démarche de sélection de nos produits sur un cahier des charges que nous voulons de plus en plus exigeant dans cette triple approche de respect de l’Homme, de la Santé et de la Planète.
De même, l’enjeu de la communication sur le contenu de notre double démarche produit d’un côté mais aussi d’accompagnement social, à concilier avec une exigence de transparence et de vérité, devient vital car il devra permettre de convaincre nos clients que les produits qu’ils consomment sont porteurs d’une exigence très grande, cohérente pour préparer le monde que nous voulons laisser à nos enfants… mais plus chers que les mieux-disant, issus en très grande proportion de l’agro-industrie et donc pauvres en main d’œuvre, parce que nous ne faisons pas de miracles (ou en tout cas, pas ceux-là !).
3) Quelle est la particularité des entreprises d’insertion comme la vôtre dans ce contexte de crise ?
JMC : notre grand défi est de préserver la cohérence d’une approche qui place l’homme, la santé de nos clients et le respect de la planète au cœur de nos préoccupations. Offrir des prestations variées en respectant nos critères de fabrication (en donnant la préférence aux produits frais, de saison et locaux…) et de présentation, préserver la convivialité tout en respectant un protocole sanitaire strict, trouver de nouveaux clients… requièrent d’innover dans les produits, dans les présentations, dans le service … le maître mot est l’adaptation.
Peut-être que cette crise permettra de mettre en évidence, que construites sur des fragilités humaines, les entreprises d’insertion doivent développer pour survivre une capacité particulière à s’adapter sans cesse à un environnement changeant, à développer une résilience souvent plus grande que d’autres acteurs de l’économie classique.
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